Ainsi naît une petite revue qui paraîtra régulièrement pendant environ quatre ans, et qui passera de bimestrielle à trimestrielle quand le contenu s’épaissira de trop. Aujourd’hui, il me semble que ça ressemblait à ce qu’on appelle un fanzine. J’y faisais tout, textes et illustrations et mise en page — mon père photocopiait, massicotait et agrafait le résultat en quelques exemplaires. Le premier numéro était écrit à la main, et les rubriques n’étaient là que pour remplir l’espace. Cependant, à mesure que les années passaient, l’écriture prenait de plus en plus de place dans ma vie, et elle a rapidement débordé dans mon journal.
L’envie d’écrire mes histoires m’est plutôt venue vers 11 ans ; ma première passion, c’était le dessin, mais aussi le fait d’entreprendre, de créer un projet de toutes pièces et de le réaliser. C’est l’idée d’avoir mon propre journal qui m’a d’abord séduite, et qui m’a ensuite forcée à me poser la question de ce que j’allais bien pouvoir mettre dedans !
Je devrais peut-être aussi préciser que ces journaux n’ont jamais été gratuits. Dès le premier numéro, ma sœur et moi nous les vendions l’une à l’autre — 10 centimes de francs les 3 exemplaires, par exemple. Là encore, je note que je n’étais pas vraiment préoccupée par l’idée d’élargir mon lectorat ; ce qui m’amusait, c’était de jouer à « faire comme les vrais », d’essayer de découvrir et de comprendre comment le système fonctionnait en coulisse.
À l’université, j’ai été rédactrice en chef et directrice de la publication du journal étudiant — pour la simple et bonne raison que personne d’autre ne voulait s’y coller ! Nuits blanches aux côtés du maquettiste à tenter de boucler le numéro pour la date prévue, 1000 exemplaires à jeter à la poubelle et à réimprimer pour cause d’incident diplomatique… Je n’y connaissais rien, et on a fait un peu n’importe quoi. Mais, par ce biais, j’ai aussi intégré un réseau d’autres associations et journaux étudiants, j’ai participé à des ateliers, des tables rondes, des événements — qui m’ont convaincue que la frontière entre « pros » et « amateurs » était décidément floue.
Et, avec dépit, j’ai appris qu’aucun éditeur français ne publiait de romance francophone ! J’ai essayé d’écrire en anglais (entre 15 et 17 ans, j’avais complètement délaissé le français et je n’écrivais de la fiction qu’en anglais)… Et j’ai aussi rêvé à d’autres formes de publication. Je voulais revenir aux basiques, écrire mon propre fanzine tout à la main et le disséminer dans des lieux publics avec la consigne : « ajoutez vos propres morceaux, photocopiez le tout et lâchez à votre tour vos exemplaires dans la nature ! » (C’est toujours un rêve ; un jour, peut-être.)
En 2011, alors que j’essayais pour la énième fois de « prendre l’écriture au sérieux », mon chum m’a offert une liseuse. Le genre de gadget que je n’aurais jamais songé à m’offrir moi-même, car, vous l’avez compris, je suis plutôt du style low tech et moyens du bord. Au même moment, via l’écriture, je découvrais le NaNoWriMo, Twitter… et c’est sur cette dernière plateforme que je suis entrée en contact avec des auteur•e•s autoédité•e•s, qui profitaient des nouvelles possibilités ouvertes par le livre numérique.
Pour moi, l’autoédition était une évidence ; le compte d’éditeur, par contraste, un mal nécessaire… mais que l’essor du numérique rendait de moins en moins nécessaire, justement. Et là, ma passion pour l’entrepreneuriat, le business et les projets qu’on monte de A à Z a pris le dessus. Internet et le numérique, plus largement, étaient aussi une opportunité pour tous les marginaux, les oublié•e•s de l’édition officielle, à commencer par la romance. Au-delà du sort de mes propres textes (que, du reste, j’avais un mal de chien à écrire !), j’avais très envie de bousculer le système et de changer les choses, pour le bénéfice de tout le monde.
Mon idée de départ était donc de créer un espace de liberté, d’échanges et d’entraide où les auteur•e•s auraient le droit d’écrire de la romance. J’aurais bien aimé n’avoir rien à faire du tout avec la chaîne du livre officielle, qui nous avait rejeté•e•s et qui, de ce fait, ne méritait pas la moindre parcelle de notre attention. Mes inspirations, c’étaient des sites Web d’alt porn qui fonctionnaient sur le principe de l’abonnement (du genre de GodsGirls.com, not safe for work, mais je précise quand même pour les âmes sensibles que c’est du softcore) — rien à voir avec un quelconque lien hypothétique entre romance et porno ; c’est vraiment juste le modèle d’affaires qui me parlait.
Comme ce n’est pas le sujet, je n’expliquerai pas ici comment, en partant de cette belle idée, j’ai néanmoins fini par me rabattre sur un modèle de compte d’éditeur (presque) classique. Toujours est-il que j’ai édité les autres pendant 4 ans et, en passant, j’ai fait de belles rencontres et j’ai appris énormément sur le milieu et les métiers du livre. Mais, en fin de compte, ce n’était pas ce que je voulais vraiment. Je voulais écrire. Or, je n’ai jamais réussi à écrire tout en jouant à l’éditrice (pour moi, écrivaine est un travail à temps plein, et éditrice est aussi un travail à temps plein !). De plus, j’ai fini par comprendre que l’édition à compte d’auteur n’était pas pour moi… ni en tant qu’éditrice, ni en tant qu’auteure.
Évidemment, cette structure et ce background à compte d’éditeur m’ont beaucoup aidée lorsque j’en suis venue à éditer mes propres écrits. Contrairement à beaucoup d’autoédité•e•s, j’avais en effet déjà toutes les connaissances et compétences requises avant de me lancer. En revanche, sur les plans financier et artistique, je cherchais complètement autre chose. Le compte d’éditeur ne m’avait jamais permis de gagner l’équivalent d’un salaire (par rapport à mes heures travaillées) et, sachant ce que je versais à mes auteures, ce n’était pas le cas pour elles non plus. À présent que j’avais toutes les données comptables en main, le seul plan d’affaires qui tenait la route, c’était l’autoédition.
Enfin, faire affaire avec un éditeur, c’est toujours une collaboration, un travail d’équipe, et… j’admets volontiers que ce n’est pas mon point fort. Or, s’il y a des domaines dans lesquels le compromis et le consensus représentent la meilleure solution, en art, ce serait plutôt l’inverse. On risque d’obtenir des œuvres que l’on appelle à juste titre « consensuelles », ou encore des produits à l’identité confuse, résultat d’un mélange de différentes visions tronquées. Pour ma part, que ce soit en tant qu’auteure ou éditrice, je n’ai plus ni le courage ni le goût d’affronter quelqu’un qui pensera forcément différemment de moi, et encore moins d’assumer des décisions qui ne seront pas les miennes (je ne parle pas ici seulement du texte, mais aussi de sa présentation, de la communication qui l’entoure, des modalités de vente, des tactiques de promotion, etc.).
Féministe et anticapitaliste, j'écris des histoires pour les nerds qui n'ont pas peur d'un peu de sperme et de sang, ni de cette chose la plus effrayante de toutes... *brrr* les sentiments! Public, tu es averti. http://joasia.koumbit.org
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